La déclaration
des droits de la
Seine


Préambule

CONSCIENT·E du rôle vital de la Seine pour le fonctionnement des territoires qu'elle traverse et pour la stabilité du climat.

RECONNAISSANT que sa capacité à remplir ce rôle dépend de nombreux facteurs, notamment l'Etat de son bassin versant, des plaines inondables et des zones humides environnantes.

RECONNAISSANT que la santé de la Seine est essentielle en ce qu’elle est la matrice soutenant l’existence d’une grande diversité d'espèces et d'écosystèmes de ses sources à son estuaire, structurant les sols, organisant la vie, multipliant sa diversité botanique et nourrissant son avifaune, alimentant les zones humides et autres habitats aquatiques avec de l’eau abondante, en transportant les sédiments regorgeant de vie, en fournissant des nutriments vitaux à l’estuaire et à l’océan, et en remplissant d'autres fonctions écologiques symbiotiques et essentielles à la pluralité des modes de vie humains et des façons d'habiter le monde au sein de la communauté vivante du bassin de la Seine.

RECONNAISSANT la dépendance absolue des habitant·e·s humain·e·s riverain·e·s de la Seine à ses hydrosystèmes qui soutiennent nos besoins vitaux en nous fournissant de l'eau potable, un sol fertile, une régulation climatique pour les plus de 18 millions de personnes que compte son bassin.

RAPPELANT que parmi les premier·ère·s habitant·e·s du bassin de la Seine, les peuples celtes entretenaient une spiritualité honorant la déesse Sequana, entité sacrée guérisseuse et divinatrice vénérée en son temple des sources, que cette relation animiste a considérablement été altérée par la colonisation romaine et le remplacement des rites païens par la religion catholique et la figure des saints sauroctones, terrasseurs de l’hydre, incarnation diabolisante du fleuve.

RAPPELANT également la fonction bioculturelle fondamentale de la Seine qui relie les régions,. En tant que route empruntée par les humains depuis les premières sociétés humaines pour échanger leur production, apportant richesse aux milieux qu'elle traverse, et accueillant de nombreuses formes d’activités sportives, de loisirs, de détente et de rencontre essentiel à notre bien-être.

ALARMÉ·E par le fait que les activités humaines ont causé des dommages importants à la Seine. Notamment par la pollution urbaine, industrielle et agricole, en plus de nombreuses autres formes et sources d’atteinte à son intégrité, du fait de prélèvements, d’artificialisations et de modifications physiques en tout genre de ses cours d’eau ou du littoral, résultant en la disparition de certains phénomènes écologiques comme le mascaret, mais aussi en un déclin de la santé aquatique et de la biodiversité, ainsi qu’en impacts négatifs importants sur la santé et le bien-être humain.

PRÉOCCUPÉ·E EN OUTRE par le fait que le développement de l’urbanisme, des industries et les activités de navigation ont causé des changements physiques à grande échelle de la Seine par la construction de barrages, des ponts, d’écluses et d’autres infrastructures, atteignant le nombre impressionnant de 11 500 barrages et seuils, soit 1 ouvrage tous les 3 kilomètres impactant son bassin, provoquant des discontinuités écologiques ainsi qu’un mauvais état écologique des masses d’eau, une fragmentation des habitats, une biodiversité réduite, un déplacement des espèces contraint et des sédiments et nutriments retenus en amont qui sont pourtant essentiels à la santé des écosystèmes en aval.

PRÉOCCUPÉ·E par le fait que le dérèglement climatique continue de réduire les débits du fleuve et de ses affluents, et que les sécheresses à venir impacteront la santé de cet écosystème et l’équilibre du climat des territoires qu’il traverse ainsi que les usages agricoles, industriels et domestiques.

ALERTANT sur le fait que les législations nationales, européennes et internationales relatives aux cours d’eau sont structurellement inadaptées pour protéger la santé intégrale de la Seine mais également des autres fleuves, rivières et sources, et que ces lois ne parviennent pas à garantir à toutes les espèces, un habitat permettant de répondre aux besoins essentiels humains et non humains dans un partage équitable et équilibré, pour les générations actuelles et futures.

CONSCIENT·E que la dégradation et l'exploitation à outrance du fleuve n'est pas uniquement une question environnementale, mais aussi une préoccupation en matière de protection des droits humains, car l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel comme le rappelle la Charte de l’environnement adossée à la Constitution française.

GUIDÉ·E par le nombre exponentiel de collectivités, de régions et de pays dans le monde qui cherchent de nouvelle manière de faire face à la crise écologique en reconnaissant et en faisant respecter les droits fondamentaux de la Nature, de l’Équateur, aux terres ancestrales maoris de Nouvelle-Zélande, des États-Unis, aux sites sacrés de l’Ouganda, et jusqu’en Europe, grâce aux Gardiennes et Gardiens de la lagune Mar Menor, premier écosystème européen à être reconnu comme un “sujet indissociablement biologique, environnemental, culturel et spirituel”.

INSPIRÉ·E par les travaux de collectifs, d’associations et d’acteur·ice·s partout en France qui œuvrent à la reconnaissance des droits de fleuves, de forêts, de massifs et d’autres entités naturelles comme les requins et les tortues, reconnues sujets de droits fondamentaux dans les Îles Loyautés de Nouvelle-Calédonie au cours de l’été 2023.

CONVAINCU·E que reconnaître les droits de la nature, et en particulier reconnaître les droits du fleuve Seine dans la présente Déclaration, favorisera la création d'un nouveau paradigme juridique, culturel, social et économique fondé sur la vie en harmonie avec la nature, la protection des communs et le respect du Vivant.


RECONNAISSANCE DES DROITS DE LA SEINE

Les Gardiennes et Gardiens de la Seine, communauté librement constituée et ouverte à toute personne se reconnaissant dans cette démarche, proclament la présente Déclaration des droits de la Seine comme l'idéal commun à atteindre par tous·tes les habitant·es, toutes les associations et entreprises, toutes les villes abritées dans son bassin versant, afin que tous les individu·e·s et tous les organes de la société, ayant cette Déclaration constamment à l'esprit, s'efforcent, par l'éducation, par leur activité et la bonne gouvernance, de développer le respect de ces droits et d'en assurer, par des mesures concrètes au niveau local et régional, la reconnaissance et l'application effective.

Article 1
Déclarent que la Seine, son bassin versant, ses sources et l'ensemble de ses affluents disposent des droits fondamentaux énoncés dans la présente Déclaration, qui sont intrinsèques à leur existence et inaliénables.

Article 2
Affirment en outre que la Seine est une entité vivante et une communauté à la fois humaine et non humaine, singulière et plurielle, composée d'êtres intimement liés entre eux, unis par un héritage hydrologique, géologique, écologique et historique commun.

Article 3
Réclament que la Seine se voit garantir, au minimum, les droits fondamentaux suivants :

  • Le droit d’exister, de prospérer et d’évoluer ;

  • Le droit de jaillir et de s’écouler librement ;

  • Le droit d’exprimer son caractère sauvage ;

  • Le droit de remplir ses fonctions essentielles dans son écosystème et de s’autoréguler afin de conserver son équilibre naturel ;

  • Le droit de ne pas être polluée ;

  • Le droit d’alimenter et d’être alimentée par des aquifères durables ;

  • Le droit à la conservation de sa biodiversité indigène et de ses paysages naturels ;

  • Le droit à la régénération et à la restauration.

Article 4
Affirment que les droits et les intérêts de la Seine, tels que déterminés par ses tuteur·rice·s à partir des meilleures connaissances scientifiques existantes, doivent être pris en compte de manière effective par les acteurs publics et privés dans toutes les actions ou décisions les concernant.

Article 5
Réclament des pouvoirs publics de garantir la prompte mise en place de mécanismes réglementaires et financiers adéquats afin d'assurer les droits fondamentaux de la Seine, incluant le droit du fleuve à sa préservation et à sa restauration.

Article 6
Affirment la nécessité de stopper toute nouvelle artificialisation, d'adapter l'existant aux meilleures techniques disponibles et de renaturer tous les barrages, seuils et autres obstacles physiques incompatibles avec les besoins fondamentaux de la Seine.


LE RÔLE DES GARDIENNES ET GARDIENS DE LA SEINE

Les Gardiennes et Gardiens de la Seine s’engagent à préserver ses intérêts fondamentaux afin d'assurer la mise en œuvre et l’application pleine et entière des droits prévus dans cette Déclaration. 

Pour cela, les Gardien·ne·s de la Seine souhaitent : 

  • Organiser une agora annuelle entre les sources et l’estuaire ;

  • Proposer, concevoir et réaliser des actions de sensibilisation, de science participative, de préservation et de restauration ;

  • Mobiliser l’ensemble des moyens artistiques, historiques, politiques, juridiques etc. pour participer à l’éveil des consciences ;

  • Agir au nom de la Seine pour représenter ses intérêts dans toute procédure judiciaire ou devant toute personne et institution ;

  • Cartographier les initiatives d’autres gardien·ne·s dédié·e·s à la protection du fleuve ;

  • Encourager et appuyer des études et analyses techniques et scientifiques pour identifier tout dommage écologique ;

  • Identifier des lieux de rencontre et action, afin de créer un relai des sources à l’estuaire ;

  • Accueillir d’autres gardien·ne·s pour faire grandir cette communauté ;

  • Structurer un plaidoyer vis-à-vis des élu·e·s, des institutions et des entreprises afin d’influencer activement un changement de paradigme.